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Quelques réflexions sur les « problèmes vicieux » et le management de projet

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Ce concept mérite d’être discuté avec quelque attention pour bien percevoir les conséquences managériales associées à sa compréhension.

Qu’entendons-nous par « problème vicieux » ? Ce terme vient d’une traduction en français fleuri canadien de « wicked problems ». Si nous prenons la définition de Rittel, présentée par Churchman (1967, p. 141), le concept de «problème vicieux » fait référence à une classe de problèmes d’un système social, problèmes mal définis, pour lesquels l’information prête à confusion, il y a de nombreux « clients » et preneurs de décisions avec des valeurs ou objectifs conflictuels, et pour lesquels les ramifications avec le système dans son ensemble sont peu claires » (notre traduction).

Ces problèmes sont « vicieux » ou « méchants » parce qu’ils résistent aux solutions. Ils sont en effet «difficiles ou impossibles à résoudre parce qu’incomplets, contradictoires, avec des besoins changeants qui sont difficiles à percevoir ou identifier » (notre traduction).

« Problèmes vicieux » et projets

De manière générale, les problèmes « vicieux » apparaissent dans tous les types de systèmes socio-organisationnels et environnements «chaordiques » (Hock, 1995) où le contexte organisationnel fait montre de volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté accrues (VUCA) affectant l’organisation et l’environnement socio-économique. Ce type de problèmes peuvent apparaître à tout moment (Taleb, 2007), et sont, par nature, non prédictibles. On sait qu’ils se produiront mais on ne peut prédire quand et quelle forme ils prendront, de manière similaire à une catastrophe naturelle comme un tremblement de terre ou une pandémie.

Chaque projet porte en lui sa part de « problèmes vicieux », car il inclut une part d’unicité et de nouveauté. Toutefois, les projets insérés dans des contextes et environnements « VUCA » sont de bons candidats ! Par exemple, les projets liés à des contextes politiques ou sociétaux et impliquant de multiples parties prenantes avec des intérêts divergents (Flyvbjerg, 2014) tels que projets de développement économique / énergies (barrage de Sivens, EPR), grandes infrastructures (jeux olympiques), Défense (A400M, Joint Strike Fighter), réformes de systèmes sociaux (carte vitale et tiers payant, Obamacare), changement et système d’information (système de paie des Armées, écotaxe et péage routier)…

Surmonter les « problèmes vicieux »

Penser « projet » peut conduire les parties prenantes – acteurs de l’écosystème du problème vicieux  et, généralement, avec une pluralité ou opposition de vues, de rapports de force et des valeurs divergentes (Jackson, 2010) – à trouver des points de convergences et façon d’avancer entre approches politiques, intérêts personnels et jeux d’influence. Cependant, cela peut nécessiter de gros efforts et ressources (voir par exemple les discussions européennes sur la manière de circonscrire l’afflux de réfugiés et le développement économique des zones concernées, crise grecque). On peut ajouter que les décisions de management de projet peuvent faire partie du problème et / ou du contexte, et, dans une certaine mesure, contribuer à réveiller le dragon qui dort ou ouvrir la boite de Pandore… pour le meilleur ou pour le pire (décisions initiales du triumvirat / troïka dans l’épineux dossier grec, écotaxe).

Utiliser les méthodologies traditionnelles du management de projet ? N’y pensons même pas… elles n’ont pas été conçues pour faire face à ce type de problème, mais pour résoudre des problèmes où un certain niveau de consensus existe entre les parties prenantes, où les problèmes sont identifiés, et où un certain niveau de stabilité dans l’environnement socio-économique rend les choses quelque peu prévisibles. Pour faire court, l’utilisation des approches traditionnelles requiert un certain niveau d’ordre et de connaissance effective ou possible des variables et facteurs en jeux (French, 2013).

Il nous faut donc nous tourner vers des approches alternatives, prenant la nécessaire « sagesse pratique» des managers de projet comme point de repère.

Les auteurs spécialistes des compétences en leadership mettent en évidence le nécessaire changement de perspective, c’est-à-dire d’une vision fonctionnelle à une vision holistique et systémique critique des pratiques (Jackson, 2003, Bourantas & Agapitou, 2014). Ils suggèrent de s’appuyer sur un ensemble d’approches dites collaboratives, même en cas de visions plurielles ou conflictuelles, à utiliser «dans le contexte » et avec « sagesse pratique », basées sur différentes déclinaisons de pensée et

méthodologie systémique (souple : on cherche à accommoder différents points de vue et alternatives et à apprendre dans l’action ; émancipatrice : on s’intéresse à qui bénéfice les changements et qui est affecté et aux formes de pouvoir, postmoderne : on encourage la variété et diversité des perspectives, en particulier celles habituellement non exprimées, pour faire émerger de possibles solutions).

Enfin, pour ne pas conclure…

En situation de « problème vicieux », nous devons passer d’un mode classique de résolution de problème  et décision de type « sentir – catégoriser – répondre » ou «  sentir – analyser – répondre » à un mode «investiguer – sentir – répondre » en ligne avec les approches holistique et de pensée systémique mentionnées impliquant par exemple des méthodes de structuration de problèmes, de l’analyse exploratoire de données (s’il est possible d’en avoir), de jugement d’experts, de méta-jeux, de cartographie des dialogues (Conklin, 2006, Morrison, 2013)… voire même à un mode « agir – sentir – répondre » supporté par des actions et pratiques exploratoires et « essais – erreurs» (Kurtz & Snowden, 2003 ; French, 2013).

Toutefois, ces approches holistiques et systémiques critiques, pour contribuer à éviter le pire et apporter le meilleur, ne peuvent s’appuyer que sur la « sagesse pratique » et l’intelligence de la situation (notion d’ingenium (Vico, 1708) présentée par Le Moigne (2007) dans le Réseau Intelligence de la Complexité) des managers de projets. Plus qu’un projet, tout un programme !

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