Une coopérative agricole (PME entre 50 et 100 personnes), fabriquant des fromages, décide de valoriser son petit lait par une technique innovante. Pour cela elle décide construire une usine. Elle choisit un des leaders mondiaux pour construire le process de fabrication et d’emballage. Peu après le démarrage, elle constate que le process délivre moins que le débit convenu avec le fabriquant du procédé. L’exploitant et le constructeur essayent de régler le problème, mais n’y parvenant pas, lance 18 mois après le démarrage une procédure judiciaire. L’enjeu, suite à la sous-production, est une perte de chiffre d’affaire estimée à plusieurs millions d’euros par an. J’interviens comme expert commis par le Tribunal de commerce.
Le contrat entre les deux sociétés, rédigé par le constructeur, est bien fait, mais le diable se nichant dans les détails, quelques points ont été négligés par la coopérative. Par exemple la durée des essais est fixée à 2h de fabrication stable alors que le cycle de production est quotidien et basé contractuellement sur 20h de fabrication et 4h de nettoyage par jour. L’exploitant annonce qu’aucune production ne dépasse 8h par jour, au lieu des 20h contractualisées.
Après quelques heures de production, un phénomène d’encrassement apparaît plus vite que prévu, ce qui diminue la quantité journalière produite. Cet encrassement, d’où vient-il ? De la matière première, d’un des équipements de fabrication et si oui lequel, d’un sous-dimensionnement du procédé, de sa conception ?
Par ailleurs, seule une formation a minima est prévue, l’exploitant ayant refusé une formation plus approfondie.
Il ressort des travaux d’expertises et sans rentrer dans les détails (a) que l’exploitant est le concepteur du procédé, ce qu’il conteste mais il a transmis le schéma de principe du procédé et les dimensionnements principaux ; (b) qu’à la suite des difficultés de production rencontrées, l’exploitant a enregistré dans un tableur des valeurs de procédé (tonnage, paramètre process . . .), mais qu’aucune exploitation de ces données n’a été faite par des techniques statistiques ne serait-ce qu’une moyenne, médiane, écart-type ; (c) que les volumes de production sont supérieurs significativement à ceux annoncé par l’exploitant mais toutefois largement inférieurs à ceux prévus contractuellement ; (d) une absence de compétence de type R&D chez l’exploitant ; (e) une courbe d’apprentissage non prise en compte.
Avec du recul l’analyse des causes profondes indique que l’exploitant est passé d’un métier de coopérative agricole produisant des fromages artisanalement à un industriel lançant un nouveau produit, développant un nouveau procédé de fabrication, sur un nouveau marché, le tout sans gestion de risque.
In fine les deux parties avaient sous les yeux une grande part des éléments de réponses permettant de régler ce problème aux origines multi-factorielles. Mais la logique conflictuelle une fois la procédure engagée a eu raison de la «Raison».
En conclusion, l’absence de réelles compétence projets en complément des compétences métiers, d’une gestion des risques, d’une maîtrise des fondamentaux de l’assurance qualité, ont amené ce projet construit de surcroît avec des aides publiques, à un échec. Cela n’arrive qu’aux autres !
Bertrand Vassor